Le confinement est de retour. Nos étudiants pourraient bien le sentir passer... et pas seulement dans les amphis.
Depuis le vendredi 30 octobre 2020, les français ont retrouvé le confinement. Plus sceptiques que lors du premier épisode (un sondage Elabe estime qu’une baisse d’environ 24 % d’opinion favorable à cette mesure a été enregistrée en comparaison à mars 2020), plusieurs professionnels ont émis des doutes voire des craintes sur la proportionnalité de cette décision au risque encouru par l’économie réelle.
Les commerces non-essentiels sont astreints à la fermeture administrative. Parmi eux, nombre de cafetiers, restaurateurs, gérants de cinéma et bien d’autres ne peuvent plus maintenir les emplois à durée (très) limitée qu’ils proposaient généralement aux étudiants, lesquels comptaient dessus pour payer leurs charges : nourriture, loyer et crédits.
Alors, bien sûr, hors de question d’éluder les efforts de l’État avant et après la Covid-19 pour pallier l’instabilité financière estudiantine et, notamment, en ce qui concerne le soutien au contrat d’apprentissage qui a permis de rediriger l’emploi du stage ou du « petit » CDD vers un contrat plus long, plus stable et susceptible de bénéficier plus largement du chômage partiel en cas de gros temps.
L’État a aussi beaucoup compté sur le biais du crédit bancaire pour financer (refinancer ?) la rentrée 2020. On comptera parmi les actions notables le doublement de l’enveloppe allouée aux prêts étudiants garantis par l’État jusqu’à 15 000,00 € (passant, en 2020, de 2 à 4 millions d’euros) et un appel du pied politique à destination des banques qui ont adapté leurs produits (prêt sans intérêt jusqu’à 5 000,00 € pour le Crédit Agricole, la Caisse d’Épargne, la Banque Populaire et BNP Paribas, et prêt à taux de 0,1 % jusqu’à 10 000,00 € pour la Banque Postale).
Comme on pouvait s’y attendre, la rentrée 2020 a donc été celle de tous les crédits avec une augmentation des demandes allant de 15 à 30 % selon les établissements bancaires sans que l’on sache exactement, pour l’instant, le taux d’octroi qui en a vraiment découlé.
Mais il ne serait pas sérieux de n’expliquer la ruée vers le crédit uniquement par la progression de l’offre. D’une part, parce qu’il semble que l’enveloppe des prêts étudiants garantis par l’État ait été consommée en seulement quelques semaines (en 2019, elle n’avait duré que deux semaines et profité qu’à 2 968 étudiants, le doublement de la mesure en 2020 n’aura sûrement pas été suffisant pour absorber toutes les demandes). D’autre part, parce que la hausse généralisée du coût de la vie cumulée aux prix de plus en plus prohibitifs des écoles privées ainsi qu’à la faible offre d’emplois étudiants constatée cet été aura considérablement assoiffé la demande en trésorerie pour cette rentrée 2020.
On peut donc s’inquiéter que l’offre de relance par le crédit encadrée par les institutions ait pu logiquement être débordée par une demande anxieuse qui pourrait bien avoir choisi de s’aventurer sur des montants de crédits bien éloignés des plafonds explicités précédemment voire de compléter par des prêts non-affectés et des facilités de trésorerie aux taux d’intérêt tout autres.
Si cette réflexion se confirme, alors ce sont des étudiants plus endettés que jamais qui voient, depuis vendredi, leurs revenus précaires menacés. Ce n’est pas le reconfinement qui devrait, à lui tout seul, provoquer une hausse massive des défauts. On objecterait facilement à cela que le dispositif de prise en charge des salaires à 100 % dans le cadre du chômage partiel suffira à les faire tenir un mois ou plus. Mais c’est le coût de grâce porté à leurs employeurs après le confinement du printemps et un été en demi-teinte qui risque de déstabiliser, dans la durée, l’équilibre financier de l’année scolaire toute entière.
Le reconfinement a réalisé le risque contre lequel pariaient tous les prêteurs de deniers aux professionnels : ils savent maintenant qu’il est possible de voir se reproduire le cauchemar de mars. Et le prêt garanti par l’État aux entreprises n’y changera rien : ces secteurs d’activité seront moins financés, l’embauche y sera plus frileuse et plus précaire. Et ce sera leur main d’œuvre de prédilection qui trinquera en premier : les jeunes en général et les étudiants en particulier.
Ce ne seront certes pas les crédits étudiants eux-mêmes qui accuseront les premiers défauts puisque ceux-ci bénéficient généralement d’un différé de paiement à deux ou trois ans. Quoiqu’il faille encore s’interroger sur la capacité de certains à régler ne serait-ce que les intérêts (qui continuent de courir en cas de différé partiel), ou de ceux dont les études se prolongent au-delà du différé, ou encore de ceux qui, ne pouvant intégrer le marché du travail du fait du contexte, ne trouveront pas les classiques « jobs d’appoint » pour débuter la phase d’amortissement sans accroc.
Ce sont davantage les crédits étudiants « sauvages » (trésoreries complémentaires et autres, comme décrits plus hauts) et les crédits auto, parfois indispensables pour se rendre sur le lieu de formation, qui, eux, poseront problème. Ils ne sont pas différés et avalent d’importants pans du budget.
Et que dire des loyers ? des autres charges ? Les bailleurs particuliers ne bénéficient d’aucun crédit d’impôt pour accorder une ristourne à leurs preneurs et leur trésorerie ne leur permettrait peut-être même pas d’attendre ce coup de pouce fiscal s’il existait.
Belle coïncidence que la trêve hivernale (qui bloque, on le rappelle, la possibilité pour les fournisseurs de gaz et d’électricité d’interrompre leurs prestations en cas d’impayé) commence avec ce nouveau confinement.
Pour pallier cette faillite des étudiants, on verra surgir le facteur discriminant traditionnel de la situation des parents : peuvent-ils assumer la casse ? sont-ils clients de la banque ? ont-ils les moyens de peser dans la renégociation du crédit du rejeton ? ont-ils les reins pour être garants dans l’inévitable rachat de crédit(s) / crédit de refinancement qui se profile ?
Mais, lorsque la réponse est non, comment fait-on pour ne pas voir l’épidémie d’impayé se propager ?
L’État, lui, a déjà annoncé sa solution pour 2021 et 2022, le 3 septembre dernier : multiplier par cinq la dotation annuelle à l’enveloppe des prêts étudiants garantis par l’État (20 millions d’euros donc) avec un objectif de 67 500 bénéficiaires pour un encours de 675 millions d’euros dès 2021. Alors, financement ou refinancement des étudiants ? Telle est la question. Avec 70 % des montants garantis par l’argent du contribuable, on gagera qu’elle obtienne une réponse rapide.
- Matthieu Perruchon
Sources :
https://www.etudiant.gouv.fr/cid96244/le-pret-etudiant-garanti-par-etat.html
https://www.ouest-france.fr/economie/cette-annee-les-etudiants-empruntent-plus-6954392
Chiffres de la Fédération des établissements d’enseignement supérieur d’intérêt collectif (FESIC) : https://www.fesic.org/preservons-lacces-a-lenseignement-superieur/
https://www.economie.gouv.fr/covid19-soutien-entreprises/dispositif-de-chomage-partiel
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